Vingt ans d’ateliers d’écriture entre partis pris et professionnalité

 

 

Odette et Michel NEUMAYER
gfenprovence.fr

 

(« Vingt ans d’ateliers d’écriture. Entre parti-pris et professionnalité », est paru dans le N° n° 89 de la revue Pratiques, mars  1996, pp. 47-66.

http://www.pratiques-cresef.com/cres70ix.htm

 

« La théorie du poème est rebelle à dire »
affirme Edouard Glissant.
N’en va-t-il pas de même pour la théorie de l’atelier d’écriture?

 

 

 

 

Ma consigne de lecture-écriture :
« je décide de reprendre cet article paru il a bientôt 20 ans et je commente ci-dessous » (Nov 2018)

(Texte en préparation)

 

La bataille du « Tous capables d’écrire ! », engagée il y a deux décennies par les militants d’Éducation Nouvelle, est toujours actuelle, même si un certain engouement pour les ateliers d’écriture dans la France d’aujourd’hui pourrait laisser croire que ceux-ci, devenus pratique courante et reconnue, ont cessé d’être un enjeu. Le succès de ce qui s’apparente parfois à des « jeux d’écriture » n’occulte-t-il pas la question des enjeux de l’écriture? La diversité et la diversification des lieux et des techniques d’animation, jointes ici et là à une certaine ignorance de l’histoire des ateliers d’écriture n’entravent-elles pas une approche critique en gommant la complexité des engagements? Bref, la multiplication des ateliers d’écriture ne signe-t-elle pas une certaine crise de l’écriture en atelier?

Paradoxe ! Au moment où l’accès à l’écriture est facilité, où le pouvoir d’écrire pourrait être partagé, celui-ci semble perdre de son attrait. L’exercice du pouvoir symbolique, lié jusqu’ici à la capacité de produire de l’écrit, semble se déplacer et s’alimenter d’objets nouveaux. Des formes inédites de domination symbolique s’installent, appuyées sur le développement de l’informatique, des techniques de pointe et autres « autoroutes de l’information ». La communication pour tous, érigée en finalité, détourne une partie de l’inventivité humaine et engendre une inflation de messages: l’accent mis sur la quantité brouille la réflexion sur la qualité, ou plutôt sur la pertinence du contenu. Dans ce monde de la communication supposé ouvert au plus grand nombre, les rôles restent pourtant distribués comme à l’ancienne: la production et son contrôle restent entre les mains de quelques uns, quant à la grande masse, elle est cantonnée dans la réception et l’illusion du dialogue interactif.

Le développement des ateliers d’écriture pourrait être le signe d’une résistance à cette réalité contemporaine puisqu’il y circule une énergie créatrice, donc un potentiel transformateur. Mais à quoi cette énergie est-elle utilisée? Edouard Glissant, évoquant le rôle des littératures du sud et des pays antillais, dit:  » […] Nous n’avons pas encore appris à bouleverser nous-mêmes, à réformer, à faire trembler, comme par un tremblement de terre, l’écriture. » A leur manière, les ateliers d’écriture ne pourraient-ils pas provoquer cette sorte de tremblement créatif, être un lieu où se renouvelle la réflexion sur le sens de l’activité d’écrire et sur les valeurs qu’on y associe? L’écriture en atelier ne serait-elle pas l’occasion de renouer avec le patrimoine littéraire pour se l’approprier, le tourner vers l’avenir, y enrichir son imaginaire?

Nous faisons écho à toutes ces questions dans les ateliers que nous inventons et animons à notre manière, sachant pertinemment que d’autres façons de faire existent ailleurs et en d’autres lieux. Pour ce qui nous concerne, nous nommerons ici les hypothèses qui ont fondé et fondent encore nos pratiques[1]. Nous en donnerons des exemples et nous pointerons des évolutions, des récurrences, des points forts.

 

o O o

 

Avant de nous reconnaître comme inventeurs – animateurs d’ateliers d’écriture nous nous sommes longtemps vécus comme des francs-tireurs. Le regard des autres et surtout les commandes de formation reçues et renouvelées, nous ont peu à peu amenés à croire en notre propre expérience. Pour que celle-ci fasse du sens pour nous-mêmes, pour que nous passions de l’intuition informelle à l’expérience formalisée, lisible, il nous a fallu inventer des lieux pour la dire, pour l’écrire. Une mise en patrimoine s’est faite peu à peu de plaquette en plaquette[2]. Parallèlement naissaient dans les parages du Groupe Français d’Education Nouvelle différentes revues d’écritures, parmi elles FILIGRANES publiée en Provence. Mais il faut se rendre à l’évidence que – sur le plan de l’édition, donc d’une diffusion à un public plus large – le militantisme ne paie pas et bien des recherches restent confidentielles. Certes, vingt ans d’obstination et de travail enrichissent intellectuellement et humainement mais ils ne donnent pas la publicité qu’apporte un livre en bonne et due forme publié chez un éditeur connu.

Il n’empêche que, pour avoir fréquenté des pionniers des ateliers d’écriture tels que Michel Cosem, Claire Yèche, Michel Ducom, Pierre Colin[3], et pour avoir à notre tour inventé nos propres ateliers, nous avons découvert l’immense territoire de l’écriture. Lecteurs de Jabès, de Blanchot, de Calvino, et d’autres … nous avons été confortés dans l’idée que nous pouvions contribuer au développement d’une écriture dans laquelle toute sa place est faite à l’imaginaire, dans laquelle le non-fini le dispute au fini, le fragment résiste à la volonté du tout dire; une écriture où le lecteur est pensé comme un partenaire solidaire de l’écrivain ; une écriture qui est moins expression de soi qu’usage de soi usant de la langue!

Les ateliers d’écriture ne représentent qu’une partie de ce territoire, celle où le partage de ces savoirs passe par un « faire en commun ». Ce domaine n’est pas sans partis pris. En ce qui nous concerne, les ateliers d’écriture ont été l’occasion de vérifier dans les faits que le pari sur l’intelligence et l’inventivité des hommes était non seulement nécessaire mais possible ; que la question de la création traverse tous les champs de l’activité humaine ; que l’articulation entre pratiques et valeurs est fondamentale pour qui se pose la question du sens de cette activité humaine. Si les ateliers d’écriture ont un avenir il est du côté du développement du lien social, de la transmission du patrimoine culturel et expérientiel, de l’analyse du travail, de la prise en compte de l’imaginaire comme vis à vis et contrepoint de la pensée gestionnaire dominante.

Notre témoignage est construit comme suit : d’abord un retour historico-subjectif sur 20 ans d’ateliers d’écriture ; ensuite un regard sur le travail réel d’invention et d’animation, donc sur la professionnalité des animateurs ; et pour conclure une ouverture sur la notion d’activité que nous préférons à celle de créativité.

 

 

o O o

 

 

1.- Trois moments d’une histoire

Tout un livre serait nécessaire si l’on voulait rendre compte en détail de l’histoire des ateliers d’écriture inventés dans la mouvance de l’Education Nouvelle. Il faudrait en particulier revenir sur diverses publications aux titres évocateurs: « Réconcilier poésie et pédagogie  » (1973 et 1980), « Du jeu poétique à l’écriture » (1976), « Anagremuses -Imaginaire et création dans un cours préparatoire » (1979), « Les ateliers d’écriture du GFEN » (1980) numéros spéciaux de la revue « Cahiers de poèmes » dirigée par Michel Cosem, mais aussi les livres « L’atelier d’écriture – le pouvoir d’écrire » et « ça conte – Conte et pédagogie » (Editions Cahiers de poèmes) coordonnés par Pierre Colin[4].

Il faudrait donner à voir le débat interne qui a toujours accompagné l’invention d’ateliers d’écriture, insister sur la variété des angles d’attaque, d’une région à l’autre, d’un groupe local à l’autre, en dire plus sur la complémentarité des approches.

Au-delà de leur diversité formelle, les ateliers du GFEN ont en commun des options idéologiques identiques et stables:

  • sur le plan du savoir: écriture et production de savoirs sont intimement liés; en écriture comme ailleurs, le savoir ne se transmet pas, il se construit.
  • à propos de la création: le principe du « tous créateurs » vaut pour les enfants comme pour les adultes; ils sont, non pas égaux, mais « à parité » dans leur capacité à chercher et à construire des réponses aux questions que l’écriture pose.
  • autour de la langue: l’écriture et le travail de la langue ne sont qu’un aspect d’une question plus large, celle de la culture entendue comme processus obstiné d’hominisation. Le travail de l’écrit est une des formes essentielles de la construction de la pensée et de la construction de la personne.
  • autour des enjeux sociaux et institutionnels: par la pratique des ateliers d’écriture ce n’est pas le changement des institutions qui est prioritaire mais la transformation des sujets acteurs et partenaires de ces institutions.

Ces quelques lignes extraites du Manifeste du C.I.P.E. [5] disent assez bien dans état d’esprit sont menés au G.F.E.N. les ateliers d’écriture: « L’écriture est la forme de pensée spécifique des temps historiques. Elle est donc nécessaire à chaque homme si nous voulons que l’histoire soit l’affaire de tous et non celle d’un petit nombre. Les ateliers d’écriture qui se développent en France […] deviennent un enjeu de la bataille qui se mène autour de l’écriture: seront-ils le nouvel outil du rapt du pouvoir d’écrire qui s’est organisé dans la société depuis la naissance de l’écriture, ou deviendront-ils un lieu où chaque homme peut prendre conscience de son pouvoir créateur et de son identité?« .

A notre avis, trois périodes pourraient se repérer dans l’histoire des ateliers d’écriture. Nous les présentons ici telles que nous les avons vécues, telles que notre expérience en Provence nous permet de les relater.

 

Les années d’apprentissage

Deux ruptures caractérisent, à la fin des années 70, l’évolution de l’enseignement du français.

D’une part de nombreux chercheurs[6] et de militants affirment qu’il est devenu urgent de modifier le paysage conceptuel des enseignants. Il s’agit d’élaborer un socle théorique nouveau à partir duquel des pratiques inédites peuvent être imaginées et légitimées. Les références aux sciences humaines se multiplient: sont évoquées aussi bien les structures du récit et du conte empruntées à l’analyse structurale que la notion de mythe élaborée par les anthropologues; sont utilisés aussi des concepts issus de la psychanalyse comme le symbolique, le réel et l’imaginaire.

D’autre part s’exprime la volonté d’innover par le corpus. Dans la longue liste des textes lus en classe figure désormais en bonne place la création littéraire et artistique contemporaine: les emprunts au Nouveau Roman et à l’Oulipo se multiplient. Au GFEN, d’autres auteurs sont aussi travaillés: des poètes et prosateurs comme Norge, Michel Cosem et Simon Brest. La production de plasticiens est le point de départ d’ateliers.

Ces deux ruptures en appellent une troisième: il n’est plus question de se satisfaire de la seule contemplation / analyse / explication de textes, aussi beaux soient-ils. L’heure est au faire: faire soi-même (en tant qu’adulte, enseignant, animateur, éducateur) et faire faire à d’autres (élèves, étudiants, adultes en formation). La brochure « L’apprentissage du récit: Récit, Fiction, Rédaction. » (GFEN Provence, 1982 ) est caractéristique de cette nouvelle donne: on y trouve le témoignage d’un groupe qui se veut collectif de réflexion se forgeant des outils et des démarches pédagogiques, mais aussi collectif qui écrit, se met en situation d’utiliser lui-même les dits outils et ose publier ses productions. « …Les enseignants ne sont pas seulement des « pédagos » et il n’est pas indifférent que se dise à travers les textes quelque chose de leurs désirs, de leur imaginaire, et que la dimension du « plaisir du texte » ne soit pas évacuée. » y affirment A. Bellatorre et J-J. Dorio[7].

 

Voici deux ateliers significatifs de cette période.

Dans le premier, il est annoncé que « l’essentiel est de montrer qu’il faut en finir avec l’analyse de textes qui a pour fin l’analyse de textes […] Montrer qu’il ne peut y avoir de construction de savoirs sur la langue qu’intégralement liée à la production de langue […] Ne pas perdre de vue le but qui est la construction de savoirs » (Michel Ducom, dans sa présentation de l’atelier).

« Quand on donne toutes les cartes« [8]Un atelier « conte » (Paru dans « Cahiers de Poèmes ». Bordeaux/Tarbes)
Matériel: un jeu de tarots (par exemple « Le tarot des mille et un contes »), des illustrations diverses empruntées à des contes et autres ouvrages (« Découvrir les contes » ou « Découvrir les animaux fabuleux » chez Seghers)
Temps 1
Lecture de quelques contes et/ou production de fragments de récits oraux, en groupes, à partir des cartes du « Tarot des mille et un contes ». Les cartes sont retournées. On ne les dévoile que une à une après qu’un récit aussi détaillé que possible ait été produit pour chacune d’entre elles. On n’écrit pas encore.
Temps 2
Chaque groupe désigne un conteur qui a pour mission de faire un récit en s’aidant des cartes et fragments imaginés à l’oral dans le groupe.
Temps 3
Manipulation métalinguistique. On brasse les groupes. Chaque groupe nouveau comporte au moins un représentant des groupes de la phase précédente. La consigne est de répertorier les points communs aux différents récits.
Nouveau brassage des participants. Par équipe de deux ou trois, on est invité à produire un dessin, un schéma, un graphique qui permette – sans mots – de rassembler les points communs qu’on vient d’inventorier. Mise en commun pour une schématisation la plus synthétique possible.
Temps 4
Les participants sont maintenant invités à inventer un récit à partir de leur(s) schéma(s) pour vérifier s’il est opératoire.
Temps 5
Analyse réflexive: quelle démarche avons-nous suivie en groupe? Comment s’est faite l’appropriation de la notion de structure du récit? Comment avons-nous rendu opératoires les concepts élaborés dans les schémas?

 

Le second exemple montre comment un atelier d’écriture peut permettre d’explorer une problématique, en l’occurrence celle de la traduction. L’objectif ici n’est pas de former des professionnels de la traduction mais de baliser un territoire mental, de dessiner les contours d’une activité d’écriture entre désir de fidélité et nécessité de l’invention, entre volonté de restitution à l’identique et ouverture à la production d’équivalents. Chacun a à se situer entre ces pôles, à adopter une position et à la mettre à l’épreuve des faits. Ecrire et réécrire pour transformer son rapport à la langue, à la fois matériau sonore et vecteur de culture… telle est la visée de cet atelier.

 

Atelier « Traduction » – (Odette et Michel Neumayer. Repris de « L… comme langue » GFEN Provence, 1983 et retravaillé.)

Matériaux:
1/ un montage d’extraits de chansons consacrées à la guerre d’Espagne, toutes langues mélangées (Jean Ferrat; Albeniz; Mercedes Sosa, Léo Ferré, Frédéric Mey, les Quilapayun, etc.)
2/ une chanson de Wolf Biermann, chanteur allemand reprenant dans sa langue les chants des Républicains espagnols: « Die Herrn Generale ». (Texte de Ernst Busch, contemporain et ami de Brecht).
Temps 1 « La fresque »
Sur une grande fresque commune, les participants sont invités à noter le plus possible d’équivalents du mot « traduire », puis pour chaque expression d’en noter des antonymes (ou contraires).
Temps 2 « Le choc des images »
Des photos ou documents représentants la guerre sont disposés sur les tables. A partir de là, chacun écrit: « lettre d’un soldat à sa mère » (époque et pays au choix). Affichage, lecture.
Écriture d’accompagnement n°1: « Parler de ce qu’on n’aime pas (la guerre) … Comment? »
Temps 3 « Le choc des mots »
Ecoute du montage (musiques et chansons) sur la Guerre d’Espagne et prise de notes sur « ce qui fait sens », ainsi que les mots ou expressions qui émergent. Le texte de la chanson allemande est lu à voix haute en allemand. Même consigne: chacun note des sonorités, auxquelles il ajoutera plus tard des associations. Puis c’est l’enregistrement de la chanson qui est donné à entendre.
Les participants se constituent en groupes et choisissent dans l’ensemble des notes prises DEUX mots contradictoires (en conflit) qu’ils travaillent selon les règles de l’écriture effervescente[9]. (idéel / matériel). Tissage d’un texte commun intitulé: « Lettre d’un soldat espagnol à sa mère ». Lecture.
Ecriture d’accompagnement collective (N°2): « entre refus et affirmation, nos résistances de tous ordres; nos stratégies de contournement quant au fond et à la forme ».
Temps 4 La traduction
Une traduction rudimentaire de la chanson de Wolf Biermann est distribuée. Consigne: en groupe ou seul, réécrire sur affiche cette traduction, là où elle paraît plate, maladroite, pas assez forte, mal rythmée, etc…
Ecriture d’accompagnement (N°3): « traduction, transgression, trahison ».
Temps 5 Analyse réflexive
L’analyse de l’atelier s’engage à partir de la lecture d’extraits de textes consacrés à la traduction par divers auteurs (traducteurs professionnels, poètes, philosophes, linguistes). Elle porte sur la confrontation des approches et des expériences entre experts (ceux dont nous lisons les textes) et non-experts (nous, qui venons d’écrire). Autour de quels concepts construire une réflexion qui permette d’entrer dans l’intelligence de cette écriture/traduction si particulière?

 

Le passage voulu par l’imaginaire et la fiction avant de traduire, est en soi une rupture. L’atelier fait apparaître que la traduction avant d’être une question de technique est d’abord une affaire de construction d’univers: un univers de faits auquel fait face un univers de mots, ou plutôt plusieurs univers de mots, différents les uns des autres, d’une personne à l’autre, d’une langue à l’autre.

 

 

 

 

Les années MAFPEN, ou la décennie 80

Au début des années 80, la mise en place des MAFPEN et notre acceptation d’y intervenir à mi-temps ou à temps plein va jouer un rôle d’accélérateur. Il nous devient possible de travailler avec des collègues sur une période plus longue qu’un week-end, en alternant moments d’écriture dans les classes et mises en commun lors des stages. Les ateliers d’écriture se « pédagogisent »: des dispositifs sont inventés pour faire produire des textes complets, bouclés, écrits en groupes. Des concepts nouveaux sont explorés, tels que celui de « palimpseste »[10], d’imaginaire, de mythe. L’écriture en atelier prend la forme d’un travail en projet. Les ateliers s’enchaînent, d’écriture en réécriture. Créer, c’est comme ouvrir un chantier pour s’approprier de manière active un patrimoine, une expérience humaine, des savoirs de tous ordres (en lecture, en grammaire, etc.).

Écrire pour aller lire

Plus tard, les enquêtes sur l’illettrisme des jeunes et des adultes, nous amènent à envisager une nouvelle utilisation de l’atelier d’écriture: écrire pour aller lire[11] nous semble une voie d’accès originale et féconde à la lecture. Nous retravaillons donc l’idée d’écrire dans les parages d’auteurs, non pas pour imiter ou parodier mais pour entrer dans leur univers, pour partager une expérience à partir de l’expérimentation de procédés qu’ils ont parfois nommés et formalisés. Nous empruntons à Aragon, Ponge, Queneau, Michaux, Handke et à bien d’autres et traduisons quelques unes de leurs problématiques de création en consignes d’écriture.

La relation de parité qui s’installe entre « experts » (les auteurs consacrés) et « novices » (les participants à

l’atelier) est une manière de décliner le principe de citoyenneté qui nous est cher.

 

ATELIER QUENEAU « Ilécricomiparl' » – (Odette et Michel Neumayer, extrait de « Faire de l’écriture un bien partagé » GFEN Provence, 1993)

Dans cet atelier, il s’agit d’apprendre à identifier les matériaux là où ils sont, à portée d’oeil ou d’oreilles, donc prendre la langue comme elle vient, pour jouer avec et se l’approprier. Ecrire c’est aussi se positionner par rapport à la norme. Le besoin de lisibilité, porté par le groupe, déplace la question de la correction vers celle de la réécriture. Enfin, comment mieux fréquenter un auteur qu’en lui inventant une biographie imaginaire!
Phase 1 « Langage cuit » (cf. Jacques Roubaud)
1/ « Langage cuit »: sur affiches, collecte de tous les proverbes, fragments de chansons, expressions toutes faites qui traînent dans nos oreilles depuis l’enfance.
2/ Observation de personnes et d’attitudes, relevé de mots dits dans les couloirs du lieu de travail . On part à deux; l’un dit à l’autre (qui note) ce qu’il voit et entend et réciproquement. Enumération la plus riche possible .
Phase 2 « Courir les rues »
1/ Distribution de titres de textes de Queneau extraits de « Courir les rues ».
Chaque groupe retravaille un mot du titre par associations sémantiques successives.
2/ Avec le matériau collecté depuis le début de l’atelier, chaque groupe écrit un texte qui développe le titre.
3/ Mise en commun et écoute attentive avec prise de notes concernant les personnages et les lieux en jeu dans les autres textes.

 

Exemple de production à partir du titre « Les boueux sont en grève »
« Six heures du mat. J’entends des voix.
On retire des couches de bébés qui bavent, de la belle crotte jaune. Elle est encore chaude. Je saute dans mes babouches. J’ai la bougeotte. Je prends le boulevard. Dépotoir! Dépotoir! Quelle puanteur. C’est le règne des rats, des mouettes, des vautours. Des météores matinaux s’écrasent sur les charognes, dans une crapuleuse ambiance. Les boueux ont foutu aux choux leurs salopettes effilochées (…)« 
Phase 3   La réécriture
1/ Distribution de textes de Queneau dans le style « ilécricomiparl ». Exemple « La pendule » ou « Maigrir » extraits du recueil « L’instant fatal ».
En groupe, et après observation, écriture d’une petite théorie du fonctionnement de la langue quenienne.
2/ Réécriture du texte initial (Phase 2) en mettant en oeuvre cette théorie. Répartition du travail de réécriture dans le groupe.
3/ Affichage, lecture. Si on constate qu’il y a saturation, on réécrit un petit passage du texte d’un autre groupe pour le rendre lisible.
2ème état du texte avant « désaturation »
Les boueu sontengrèv
Sizeurs dumat
J’entends déwoua
Onrtire découches dbébé quibav
Dla belcrott jaun.
Elé tencor chaud.
Chsôt dans mébabouch
Jé laboujott.
Jprends lboulvard
Dépotoir, dépotoir.
Quelpuhanteur!
(…)

 

Phase 4   La biographie
1/ Des photos de la vie de Raymond Queneau sont posées sur la table accompagnées d’une feuille blanche. Chacun y note ce que les photos lui suggèrent.
2/ A partir de ce matériau, on écrit individuellement une biographie imaginaire de Raymond Queneau.
3/ Lecture et comparaison avec la « vraie » biographie. Discussion sur les logiques explicatives à l’oeuvre dans les
biographies d’auteurs.
Extrait d’une biographie imaginaire de Raymond Queneau
« RQ avait un père dont il pouvait être fier. Bourgeois, col cassé, moustache étudiée; et une mère artiste mais quand même BCBG. A sa naissance, autour de 1900, au Havre, il était un bébé d’époque, bien nourri, pauvre (pas trop) et prodige comme tous les bébés. On le mit donc pour ses études au Château, où le jeune Raymond, grand ami des chiens, coula des jours heureux. Adolescent attardé il s’acoquina avec une secte de pataphysiciens. La Grande Guerre le réveilla. Raymond fut tour à tour photographe aux armées, maître-nageur dans les services secrets et adjoint à la culture au mess des sous-officiers. C’est là qu’il écrit ses premiers textes: « Oh là là! qu’il est laid » et « Le peintre amoureux de son modèle » ….

 

2 – Sortir du champ littéraire

Dès cette époque nous avons recours aux ateliers d’écriture ailleurs qu’en classe de français. Dans nos stages à la MAFPEN et avec d’autres au GFEN, nous explorons ce que veut dire écrire en histoire, écrire en langue étrangère, écrire en sciences.

L’atelier qui suit, mêlant fiction et travail des concepts, s’est révélé être une hypothèse très fructueuse dans le cadre par exemple d’une réflexion sur le projet d’établissement. Il permettait à des équipes d’établissement de construire des savoirs en analyse systémique et de les mettre en oeuvre pour comprendre et transformer le terrain.

 

L’ATELIER « La Calanque: un écosystème »[12] – (Imaginé par Georges Granger, Odette et Michel Neumayer. Paru dans « Fragments, dispositif: l’invitation au voyage interfragmentaire » GFEN Provence 1987)

HYPOTHESE: Et si construire son savoir c’était aller d’îlot en îlot, de fragment en fragment, de manière systémique, en un aller-retour incessant de la partie au tout, arpentant des territoires mentaux toujours provisoires où les frontières entre champ et hors-champ ne sont pas tracées une fois pour toutes.

Les enjeux de cet atelier varient selon les lieux où il est animé :

1) Dans les Collèges en rénovation (depuis 1983): outil de lecture nouveau, pour se situer de manière dynamique et agissante dans la complexité des sous-systèmes qui régissent le fonctionnement d’un établissement scolaire.

2) Pour les équipes pluridisciplinaires: en finir avec l’idée stérile du « thème commun » engendrant la juxtaposition d’activités parcellaires; en revanche se donner des problématiques transversales – le concept de « système » par exemple – réinvestissables dans toutes les disciplines.

3) Pour les stages spécifiquement consacrés à l’écriture: nouer des liens entre écriture de fiction et théorie scientifique. Quelle commensurabilité entre la notion « d’écriture fragmentaire avec dispositif d’accueil de fragments » et celle d’approche systémique? Concevoir le texte comme un système …

PHASE 1 « ÉMERGENCE ET BAIN DE MOTS »

En groupes de 4-5 personnes, on élabore plusieurs listes: tous les systèmes connus; les synonymes et antonymes du mot système; et recherche sur les axes idéel et matériel du mot. Affichage.

PHASE 2   « LE SYSTÈME A LA RECHERCHE DE SON ÉCRITURE »

Chaque participant choisit 3 mots qui lui plaisent dans le pot commun des listes de la phase précédente. Il veillera à leur expansion dans la phase suivante.

On constitue 7 groupes. Chaque groupe reçoit une fiche comprenant: un lieu + un titre comportant le nom du personnage principal + un chiffre (à travailler sur les axes idéel / matériel) + un incipit[13] , c’est-à-dire la phrase qui commence le texte et dont il s’agit d’écrire la suite collectivement.

Lecture des textes avec prise de notes (les personnages, les événements; quelques détails).

PHASE 3 « CHANGEMENT DE NARRATEUR / CHANGEMENT DE POINT DE VUE »

Consigne: « A son tour, pour une raison encore obscure, le chauffeur du bus 354b, qui passe quotidiennement dans la calanque et qui est au courant de tout, écrit un texte bref, adressé à qui de droit, et digérant les autres textes. »

Production de groupe avec obligation d’intégrer des fragments des productions de la phase précédente. Lecture.

PHASE 4 – « LE SYSTÈME COMME MÉTAPHORE / COMME MODÈLE »

Un schéma « la calanque de Morgiou, un écosystème » est distribué à chaque participant. Il propose une lecture systémique des échanges entre sous-systèmes de la calanque (la pêche, le tourisme, l’environnement, les cabanonniers, le CIQ, etc.) et esquisse des liens entre la calanque et son environnement (la mer, le cadre suburbain, etc.).

La consigne est de repérer les manques du document, puis passant du particulier au général, de formuler quelques lois de fonctionnement d’un système. Mise en commun.

Enfin sur le mode « Et si la calanque, c’était… le corps humain, ou … le collège, ou …. la MAFPEN », chacun est invité à produire un texte en filant la métaphore et en gérant ses contradictions.

L’atelier se clôt sur la lecture de documents consacrés à l’approche systémique.

 

 

Où en sommes-nous aujourd’hui?

Ecriture et analyse du travail.

L’atelier « Calanque » marque une évolution profonde de nos ateliers d’écriture. Ceux-ci s’avèrent être des moments de formation privilégiés adaptables à toutes sortes de questions extérieures au champ littéraire, pour lesquelles il n’y a de réponses que progressivement construites et non données une fois pour toutes. Qu’il s’agisse par exemple du travail social ou de l’activité de production de biens et de services, des mutations[14] sont à l’oeuvre. Comment les comprendre, comment les mettre en mots et convoquer l’imaginaire au même titre que d’autres types de rationalité? Quelle écriture de pratiques imaginer[15]?

L’atelier d’écriture, tel que nous le concevons, est une situation ouverte qui rend possible la rencontre de l’émergence d’une pensée du travail que les échanges oraux habituels trop fugaces ne permettent pas toujours d’élaborer. On retrouve, organisant les récits du travail, les métaphores qui structurent en profondeur les attitudes et les conduites[16] des sujets. Développer consciemment ses propres métaphores, ne serait-ce pas tisser un discours dans lequel peuvent s’expliciter certaines stratégies jamais exprimées face au travail. Selon qu’un enseignant se voit plutôt en « chef d’orchestre » ou « dompteur », les accessoires, les gestes, l’environnement, les rapports prennent une autre coloration et le sens donné au travail n’est pas le même, les valeurs sous-jacentes non plus.

Les « objets anthropologiques » tels que l’écart, la quête, le don, ou la marge, posés comme des problématiques dans nos ateliers d’écriture permettent aussi un autre regard sur le travail. Leur « reconnaissance » voulue, affirmée comme un des enjeux de ce type d’ateliers, est un facteur important d’émancipation mentale. Par l’écriture, un aller-retour s’installe du singulier au général, du subjectif au conceptuel, dans une démarche qui entend renouveler la relation entre discours théorique et témoignage concret, qu’il s’agisse du travail enseignant ou de tout autre.

Enfin l’écriture en atelier conduit à approfondir la notion de « formalisation ». La « mise en forme », travail sur et dans la langue, fait apparaître en quoi tout acte de travail est toujours ponction ambiguë dans l’expérience de vie. Simultanément, la formalisation est la base d’une mise en patrimoine, productrice de lien social, avec ses dimensions autant individuelles que collectives. [17]

 

 

 

o O o

 

 

3.- Inventer, animer et analyser des ateliers d’écriture

Faire un bilan des ateliers d’écriture, c’est aussi explorer en quoi consiste de l’intérieur, pour ceux qui le mènent, ce travail d’invention et d’animation.

Du militant au professionnel

L’animation d’ateliers d’écriture n’est pas, jusqu’à nouvel ordre, un métier reconnu. Elle serait plutôt considérée comme une occupation annexe pour des enseignants, des formateurs, des bibliothécaires, des écrivains, des travailleurs sociaux, etc. La multiplication des animations d’ateliers à l’initiative de toutes sortes d’acteurs invite à une réflexion déontologique, engage à mettre en place des repères de type professionnel, en un mot incite à discerner ce que pourraient être les contours d’une professionnalité en émergence.

Comme nous l’avons déjà dit, les ateliers d’écriture ont été pour nous des actes militants avant que nous ne les reconnaissions aussi comme des lieux de savoir-faire de type professionnel. Plusieurs faits nous ont contraints à mieux analyser les mutations dans lesquelles nous nous trouvions nous-mêmes engagés: citons notre présence à la mafpen (13 années consacrées à la formation d’enseignants), mais aussi l’apparition de métiers nouveaux aux frontières de la formation, tels que intervenant, consultant, analyste du travail, etc. Notre position de « marginaux sécants », passant d’un public à un autre, travaillant dans et hors l’institution scolaire, nous a incités à accepter notre originalité et à mieux préciser ce qui fait notre spécificité, notre professionnalité .

 

Qu’est-ce que la professionnalité ?

La professionnalité est une métacompétence qui consiste à fonder, entretenir, développer, analyser, mettre en relation ses propres compétences et celles des personnes fréquentant le même environnement professionnel. Cela suppose la reconnaissance de sa propre position dans le champ professionnel et l’identification des marges de manoeuvre. La professionnalité n’est pas sans relation avec l’image de soi. Portée par un sujet, elle est une des formes conscientisées de l’usage de soi par soi et de l’usage de soi par d’autres (institutions, entreprises, etc.)

Développer sa professionnalité pourrait consister à diversifier les systèmes conceptuels qui servent de cadres à l’action. Ainsi, en ce qui nous concerne, les partis pris d’Education Nouvelle qui orientaient notre démarche (à

savoir instituer des lieux où chacun puisse reprendre ses droits d’auteur, construire un autre rapport à la langue et s’installer en tant que personne dans son propre discours), sont toujours d’actualité mais s’y ajoute un terme nouveau, celui de qualité entendu dans le monde du travail comme exigence de clarté: savoir ce qu’on fait, pourquoi on le fait et savoir le dire.

Si nous cherchons à qualifier notre action et celle d’autres compagnons du GFEN nous pourrions avancer que:

a) inventer des ateliers d’écriture, c’est agir en chercheurs ou plutôt en praticiens-chercheurs en écriture et en pédagogie. Chaque atelier suppose, comme toute recherche, la formulation d’une hypothèse (ici sur l’écriture), la construction d’un dispositif expérimental (un cadre appuyé sur un ensemble de consignes pour produire de l’écrit), et l’élaboration d’un bilan (l’analyse du processus).

b) inventer des ateliers d’écriture, c’est aussi agir en créateurs. Chaque atelier inventé est un élément d’une « oeuvre » à la fois individuelle et collective. Les ateliers se suivent, se répondent, se dépassent les uns les autres. Des formes toujours nouvelles doivent être créées, puis socialisées. Tout atelier est un pari: passer d’une intuition, d’un désir à la réalisation d’une forme qui lui donne corps, qui est signée.

c) inventer des ateliers d’écriture, c’est agir en médiateurs. Les dispositifs proposés sont autant de passerelles vers l’écriture. C’est ainsi que nous avons fait découvrir à des centaines de personnes adultes, adolescents et enfants leur capacité à écrire et leur écriture même.

d) inventer, c’est enfin agir en militants. Mais qu’est-ce que militer? L’atelier d’écriture, mis au service d’une idée (le « TOUS CAPABLES », par exemple), est une manière de dimensionner cette idée, de la traduire en actes. Militer, c’est se donner les moyens, les pratiques concrètes qui permettent aux idées de se réaliser.

 

Les descripteurs de la professionnalité

Nommer les descripteurs d’une professionnalité représente à la fois un coup de force (découpage dans une réalité complexe) et une nécessité. Des observations éparpillées, dispersées dans le temps et l’espace, sont à rassembler. Pour les réunir, existe-t-il des catégories stables, valables dans tous les cas et pour tous types d’ateliers? Qui est le plus apte à les déterminer: les animateurs ou les experts?

 

Pour notre part, les descripteurs suivants nous semblent provisoirement les plus opératoires. Ils sont comme une grille de lecture du travail des animateurs:
Comment naît l'idée même d'inventer un atelier: commande extérieure, auto-prescription, etc ...?
Comment passe-t-on de l'intuition d'un atelier à l'énoncé de sa problématique?
Comment se formulent les consignes et quels en sont les effets attendus?
Selon quelle nécessité ou logique s'enchaînent les différentes phases d'un atelier? Et selon quelle dynamique s'enchaînent les ateliers dans un stage?
Comment est pensé le dispositif d'évaluation avant, pendant, après l'atelier?
Quels sont les concepts auxquels le formateur a recours pour se donner les moyens d'une analyse efficace et adaptée aux circonstances?
Comment sur le terrain se noue le contact entre animateurs et participants: travail de légitimation, place du relationnel, place des concepts?
Comment sont gérées les productions dans et après l'atelier d'écriture?
Quels référents littéraires ou autres sont utilisés et à quel moment?
Quel est le comportement observable des animateurs pendant l'atelier?
etc.

 

Dressant cette liste, nous avons bien conscience qu’elle est incomplète et non exempte d’arbitraire. Elle laisse dans l’ombre une large part du contexte de l’atelier, que nous appellerons la situation de travail de l’animateur. En effet, analyser une animation d’atelier suppose que le contexte institutionnel dans lequel l’atelier prend place soit analysé comme un des déterminants. Le travail d’animation est toujours le résultat d’une rencontre, d’une négociation entre un sujet (l’animateur avec son histoire, sa formation, son rapport à la création, son expérience, ses valeurs, etc.) et une institution. Cette institution, qu’elle soit militante ou non, définit un cadre de fonctionnement, des normes, des valeurs, des projets. Dans certains cas, elle passe même commande, prescrit, achète un travail et attend des résultats.

 

L’exemple de l’atelier « Une journée particulière »

Voyons à l’œuvre quelques descripteurs dans un atelier récemment mis au point: « Une journée particulière ».
Aux origines de l’atelier
Si nous cherchons comment nous vient l’idée d’un atelier[18], nous butons sur une zone d’ombre, un domaine un peu mystérieux, dépendant de nos intérêts, de nos compétences, mais aussi de notre capacité à humer l’air du
temps et à nous reconnaître dans les questions qui sont en débat dans l’actualité et dans la création contemporaine.
Comment imposer dès le départ l’effet de surprise, de dépaysement pour mobiliser et motiver les participants? Le 28 février 1995 la ville d’Aubagne commémorait avec maintes festivités le centième anniversaire de la naissance de Marcel Pagnol. Il se trouve que fin février nous animions un stage d’écriture de 3 jours dans cette ville. L’occasion était belle de réfléchir par écrit à la raison d’être, aux enjeux, aux limites des commémorations; à ce que signifie être né quelque part et être devenu célèbre, et aussi à ce que le commun des mortels retient de la vie d’un homme. Par là même nous nous engagions dans un travail sur la biographie, sur ce que peut être le bilan d’une vie.
Ayant savouré comme tout auditeur ou téléspectateur la célèbre phrase de Marcel Pagnol: « Je suis né dans la ville d’Aubagne, sous le Garlaban couronné de chèvres, au temps des derniers chevriers. Garlaban, c’est une énorme tour de roche bleue, plantée au bord du plan de l’Aigle, cet immense plateau rocheux qui domine la verte vallée de l’Huveaune … », nous décidons d’en faire usage pour la première consigne: nous proposons pour commencer l’atelier d’en écouter un enregistrement, non pour admirer la façon dont Pagnol installe l’univers de son enfance, mais pour écrire. A cet effet, chacun reçoit une carte géographique représentant son pays (France, Belgique, RFA[19] ou une mappemonde) et situe en couleur son lieu de naissance. Il écrit – toute modestie mise à part – une courte légende à la manière de Pagnol « Je suis né dans la ville de …. » Ces premières productions sont lues.
Puis, de manière très irrévérencieuse et pour établir un contrepoint, nous faisons entendre la chanson de Brassens, « Ballade des gens qui sont nés quelque part. ». Sans commentaire. Le texte de Brassens rend possible le recul qui sera nécessaire pour la phase suivante. Il brocarde, sans qu’il soit utile d’y insister, la complaisance avec laquelle nous avons tous tendance à évoquer les lieux de notre naissance et de notre enfance.
Le programme des festivités, largement distribué dans Aubagne, nous donne l’idée de la consigne suivante: « Dans 100 ans, votre ville natale commémore votre passage. Vous racontez. ».

 

Une source d’inventivité: les consignes

Cette dernière consigne, comme toutes les autres, n’est pas un ordre, mais une situation-problème faite pour engendrer un travail. C’est aussi une ruse pour sortir du quotidien de la langue et sortir la langue du quotidien.

Les recherches en matière d’analyse du travail[20] montrent qu’entre travail prescrit et travail réel existe un écart irréductible et que l’excès de prescription est inefficace parce que le sujet n’y trouve pas sa place. Les trous et les blancs dans la consigne, loin d’être des manques, sont la source même de l’inventivité. Cette conception de l’énoncé, en

rupture avec une certaine pensée pédagogique dominante (évaluation formative) nous conduit à formuler nos consignes de façon très ouverte et s’il se peut en termes métaphoriques. Ce qui nous intéresse c’est le travail réel du sujet – et sa liberté – pensés comme l’ensemble des ruses qu’il déploie pour passer des mots à l’acte, de l’injonction d’autrui (les animateurs) au faire personnel. Ainsi que le définit Ph.Davezies « le travail, c’est la mobilisation des hommes et des femmes face à ce qui n’est pas prévu par la prescription, face à ce qui n’est pas donné par l’organisation du travail » [21]. Ceci vaut aussi pour les ateliers d’écriture.

 

La place du rire, de l’humour

Revenons à l’atelier « Une journée particulière ». Raconter sa propre commémoration n’est pas sans poser quelques vrais problèmes d’écriture: pour quel narrateur opter? Dans quelles circonstances parle-t-il? A qui s’adresse-t-il et en quels termes? Quel genre choisir (le décret, l’article de presse, le discours, l’énumération, le testament, la chanson, etc.), sachant que chaque forme impose son style? Comment manier l’ellipse? Jusqu’où se masquer, se dévoiler? Ces questions d’écriture recouvrent des questions existentielles: que sera le monde à ce moment-là? Quels changements notables puis-je imaginer? Qui parlera de moi plus tard? En quels termes? Pour dire quoi? Ma vie dans 100 ans vaudra-t-elle d’être parlée? Et pour couronner le tout: serai-je encore là pour assister aux commémorations, et si oui dans quel état?

Pour résoudre ces tensions: l’humour, le rire, plus souvent que la gravité. Ce phénomène n’est pas rare. La fréquence du rire que nous avons pu remarquer dans nos ateliers d’écriture attire l’attention. C’est un rire de connivence, mais on peut aussi l’analyser, ainsi que le fait Yves Clot[22] en référence à M.Bakhtine, comme « […] acte d’affranchissement des dissonances ou des conflits d’une activité; […] On peut parler à son propos d’une régulation symbolique de l’action en raison même du fait qu’il se présente aussi comme ‘une échappée’ qui la porte plus loin. Par le rire, l’activité s’échappe de son cours, se sépare d’elle même, se dépasse. En un sens, le rire dit mieux que tout ce que la subjectivité comporte nécessairement de désidentification, ou de non-identification du sujet à ses actes »

On peut mettre ceci en parallèle avec une problématique plus ancienne, explorée en 1987 déjà, dans une plaquette intitulée « Ecrire autour du Je », concernant l’écriture autobiographique et ses nécessaires déplacements ou masquages. A l’époque nous écrivions: « Ecrire ‘je’ ne va pas de soi. Plusieurs pièges guettent celui qui s’y risque innocemment: le piège de la complaisance narcissique, celui de l’idéalisation de l’enfance, de la famille, du territoire, celui de l’insignifiance (évocation de personnes, de lieux qui n’ont d’intérêt que pour l’auteur), celui de l’introspection naïve, celui de la croyance dans la transparence de la langue et du ‘moi’. […] Notre

hypothèse: écrire n’est pas ‘parler de …’ . Ecrire, c’est mettre entre ‘je’ et ‘moi’ l’écran de l’écriture, du texte …. »[23]

Au-delà de l’anecdote Pagnol, traitée par l’humour, se dessine un contenu conceptuel – l’écriture biographique – qui devient objet de formation, d’échanges et de confrontations. La multitude des réponses possibles à la question « comment écrire une vie / sa vie » évoque l’idée de parité, de commensurabilité de l’expérience humaine.

Faire de l’écriture un bien partagé

Le hasard ou notre curiosité pour les dispositifs d’écriture originaux, nous avaient conduits à lire un numéro spécial du Nouvel Observateur « 240 écrivains racontent un jour du monde ». Il s’agissait du 29 avril 94[24]. Nous nous en sommes inspirés pour la fin de l’atelier.

Après une recherche collective d’adjectifs synonymes de « particulière » (en rappel du titre « Une journée particulière ») s’ouvre une nouvelle phase où les participants sont invités à feuilleter les journaux du jour, en ce 28 février 95. Dans le panorama offert par la presse, chacun choisit un pays, patrie possible d’un écrivain imaginaire, vivant, qui serait « son dissemblable, son frère ». Il lui invente un nom, une biographie sommaire et pose pour la photo Polaroïd, qui, à l’instar des photos d’écrivains parues dans le Nouvel Observateur, illustrera le texte à venir. Puis cet écrivain imaginaire raconte son après-midi du 28 février, ailleurs dans le monde, sachant que « Le monde, à tout instant, est libre de faire ce qu’il veut » d’après ce qu’en dit l’auteur suédois Lars Gustavson.

Lecture et mise en commun de ces fragments de vie. Cette mise en commun n’est pas une simple juxtaposition de textes isolés mais un pas vers un écrit collectif. Chaque texte trouve sa place à côté des autres dans une sorte de mappemonde nouvelle et bigarrée, dans laquelle ils se répondent, se contredisent, se complètent. Il est affirmé ainsi symboliquement que si l’écriture est un acte individuel, aucun texte n’existe seul. Il est toujours dans un réseau qui lui donne du sens (nous reviendrons sur ce point plus loin lorsque nous évoquerons les questions de publication). Du local au planétaire, du singulier à l’universel, des liens se tissent qui nous unissent aux autres hommes et font de la vie et de l’écriture une affaire en partage.

 

La place de l’analyse réflexive

Après l’atelier vient le moment de l’analyse du processus. Se confirme alors le rôle essentiel de la métacognition, ou analyse réflexive. Sans cette prise de recul, l’atelier d’écriture pourrait n’être qu’un aimable passe-temps, ou dans le cas de « Une journée particulière », une situation trop impliquante avec le risque de rester prisonnier de l’émotion autobiographique réveillée.

C’est pourquoi nous proposons de centrer la réflexion sur l’écriture et non sur le ressenti. Pas de jugements de valeur non plus sur les productions. En revanche, les outils et procédés utilisés seront nommés. Retour sera fait sur les problématiques annoncées en début d’atelier, sur les concepts qui permettent de libérer l’activité de l’anecdotique. Les ruptures seront pointées: en particulier dès le démarrage l’affirmation qu’on n’écrit pas avec des idées d’abord, mais avec des mots; rupture dans la gestion du temps (des phases de production relativement brèves et l’idée que l’inachèvement est la condition du rebondissement ultérieur); rupture avec l’idée de l’écriture comme pratique exclusivement individuelle (confrontations toujours, co-pillage souvent); refus du jugement de valeur sur les productions et refus d’assimiler les personnes à leur texte.

L’analyse réflexive est une reconstruction a posteriori du processus qui a permis l’écriture, une mesure des effets du dispositif proposé et une évaluation de sa pertinence. Cette forme d’évaluation n’a rien à voir avec le contrôle.

Ainsi, pendant le stage d’Aubagne, avons-nous réfléchi à ce qu’est finalement une « journée particulière »: qu’a-t-elle d’historique ou de terriblement quotidien dans la variété des faits petits et grands? Quelles ont été les identités narratives choisies, masques pour écrire et témoigner d’un monde malgré tout réel? Qu’est-ce qui est partageable dans l’expérience des hommes, des plus célèbres et célébrés aux plus anonymes? Comment dans cet atelier est-on amené à prendre « l’option d’autrui », à comprendre l’importance de la relation à l’autre / aux autres dans sa construction de sujet?

 

Le sort des productions, la signature

Encourager la production d’écrits ne va pas sans poser la question du devenir des textes après l’atelier et du devenir-écrivant des participants. Le principe même du « Tous capables » crée l’obligation de prendre en compte les productions et d’ouvrir le débat sur le retravail des textes, leur conservation et leur ultérieure mise en circulation. C’est toujours un moment de vérité où l’on vérifie si les participants ont admis l’idée du « Tous capables ». C’est aussi un moment de prise de conscience que l’activité d’écriture ne se clôt pas avec la fin de l’atelier ou du texte.

Une nouvelle étape se profile: celle de la socialisation, de la rencontre avec des lecteurs hors atelier. Est-on prêt à laisser le texte vivre sa vie? Si on admet qu’il y a lecteur, on admet qu’il y auteur et donc ceci renvoie à la nécessité de signer pour assumer la cohérence du texte. Car « la signature n’est pas l’appendice personnalisé d’un discours, mais, comme l’indique J.Rancière[25], la marque de son identité, le nom propre qui met ensemble des noms propres et des noms communs, les mots et les choses, l’ordre des êtres parlants et celui des objets de connaissance. »

Publier en revues

Nos prédécesseurs « revuistes » et animateurs d’ateliers d’écriture (Michel Cosem, fondateur de Encres Vives, Michel Lac, directeur de Rivaginaires, Michel Ducom, éditeur de Glyphes, Pierre Colin, responsable de Cahiers de Poèmes) avaient compris avant nous l’importance des revues pour accueillir des textes nouveaux sans les délais ni la lourdeur de l’édition classique. Ces revues ont été des lieux de projet collectif où penser l’après-atelier.

Aussi, dès 1984, nous avons créé en Provence Filigranes, Revue d’écritures. Notre visée était (est toujours) de « donner corps à un pari, celui de publier prioritairement des textes inédits, le travail d’écrivains encore anonymes, ou que le marché de l’édition méconnaît »[26]. Reprenant l’expression de Jean Dubuffet, nous voulons promouvoir les « hommes du commun à l’ouvrage ».

La revue publie en novembre 1995 son 33ème numéro. La preuve est faite de la viabilité économique de ce type de projet éditorial (même si l’équilibre financier est toujours fragile). Chaque numéro est construit autour d’un thème polysémique et inducteur qui nomme une dimension possible et métaphorique de l’acte d’écrire. Citons à titre d’exemple parmi les dernières livraisons: « Au pied de la lettre », « Les faux-pas du temps », « Figures du détour ». L’existence même du thème fédérateur incite le lecteur à porter son attention plus sur l’écriture que sur l’identité ou la notoriété des auteurs, ce qui permet d’accueillir toutes sortes de textes. Autant de textes réunis, autant de manières de décliner un même motif, de le mettre en mots. La possibilité offerte au lecteur de les comparer rend caduque la croyance en la qualité intrinsèque des textes. Comme dans les ateliers, c’est l’environnement, la confrontation avec les autres textes qui leur donne leur valeur. De texte en texte se nouent des fils qui les rendent lisibles.

 

 

o O o

 

 

4.- Créativité ou activité et « efficacité dynamique »?

 

Nous n’avons pas encore abordé de front la notion de « créativité » et cela mérite une explication. En effet, cette notion souvent invoquée est rarement définie avec précision. On trouve par exemple: « disposition à créer qui existe à l’état potentiel chez tout individu et à tous les âges. Etroitement dépendante du milieu socioculturel, cette tendance naturelle à se réaliser nécessite des conditions favorables pour s’exprimer. » (Dictionnaire de la psychologie, Larousse) Elle est associée à « imaginaire ». On parle de la créativité comme « d’un regard vers l’avant » ou comme « maîtrise productive de tâches concrètes »[27].

Ces définitions ne semblent que partiellement opératoires, voire fortement contestables quand elles accréditent l’idée d’une disposition « naturelle » qui serait simplement à stimuler! Il est plus fécond en revanche de prendre appui sur les notions « d’activité » et « d’efficacité dynamique » pour comprendre ce qui est en jeu dans un atelier d’écriture.

L’activité

Nous avons tenté dans notre exposé de mettre en lumière à notre manière l’imbrication de ces trois étages constitutifs de l’activité dont Jean-Yves Rochex[28], relisant Léontiev dit qu’il ne s’agit pas « d’éléments ou de registres juxtaposés ou indépendants les uns et des autres, mais de différenciations internes, indissociables, dont les rapports, les tensions et les discordances produisent et caractérisent le mouvement de l’activité ». Ces trois étages sont ceux de l’action (l’action d’écrire vue comme projet et anticipation d’un résultat), du processus (ensemble d’opérations, mise en œuvre d’outils et techniques d’écriture au service d’un but – produire un texte -, en fonction de contraintes matérielles), et des mobiles ou motifs (ce qui incite le sujet à écrire). La spécificité de l’atelier d’écriture tient dans le fait que ces trois étages de l’activité y sont mis en scène (théâtralité de cette situation), explicités et différenciés autant que possible (analyse réflexive, écritures d’accompagnement, etc.). La qualité d’un atelier d’écriture tient à notre avis dans la conscience qu’animateurs et participants ont de l‘activité et des tensions qui existent entre ces différents registres[29].

 

L’efficacité dynamique

Un atelier réussi est donc un atelier où les uns et les autres progressent dans la découverte de leur fonctionnement de sujets, c’est-à-dire de leur subjectivité

première n’est plus alors ce « moi singulier » supposé déjà constitué, en attente de mots pour se dire de manière plus ou moins originale, mais un processus psychique de mise en relation dynamique. Là où les théories de la créativité s’appuient sur la notion de « disposition » (notion dangereuse car statique, n’envisageant que le donné, ou l’inné) nous préférons parler de dynamique psychique, de mise en mouvement par le biais d’un dispositif. Nous revendiquons pour nos ateliers la notion « d’efficacité dynamique » empruntée à Yves Clot[30] avec ses deux dimensions de développement « proximal » (en référence à Vygotski) c’est-à-dire enrichissement par des savoirs et savoir faire nouveaux et de dépassement, c’est-à-dire projection, acceptation de passer du connu à l’inconnu.

Les enjeux de l’écriture en atelier tiennent moins pour nous dans la production d’oeuvres nouvelles, inédites, supposées être le fruit de la « créativité » des sujets, que dans la formulation par chacun d’objets de travail nouveaux, toujours imprévisibles et imprédictibles. Par exemple, transformer tel ou tel aspect de son rapport à l’écriture, traiter par l’écriture telle ou telle question existentielle relevant du rapport au monde, aux êtres, à la vie, penser autrement son métier, etc. C’est souvent dans les propos tenus pendant ou après l’atelier que se dessinent des résolutions prises qui dépassent largement l’ici et maintenant de l’atelier. Il n’est pas rare qu’il faille plusieurs années pour que les effets du tremblement amorcé dans certains ateliers fassent écho et nous soient signifiés.

A l’issue d’un atelier, personne n’affirme avec certitude savoir mieux écrire, mais chacun a fait au sens fort l’expérience de l’écriture, chacun s’est exposé à elle et en a tiré un rapport nouveau, des interrogations nouvelles. Quelle théorie pourrait rendre compte de cette complexité?

 

 

ON& MN

 

o O o

 

 

 

[1] Enseignants et formateurs, nous animons depuis une vingtaine d’années, en France et à l’étranger, pour le Groupe Français d’Education Nouvelle mais aussi pour d’autres organismes, toutes sortes d’ateliers d’écriture et de création.
[2]  La bibliographie du GFEN en matière d’écriture peut être obtenue auprès du GFEN Provence, 1, Allée de la Ste Baume, 13470 Carnoux.
[3]  Nombre d’autres personnes seraient encore à citer pour ne parler que du GFEN. Mais c’est le lot de bien des praticiens géniaux que de rester dans les coulisses de l’Histoire….. Les ouvrages de Claire BONIFACE : « Les Ateliers d’écriture » Retz 1992 (en collaboration avec Odile PIMET) et « Premières rencontres nationales des ateliers d’écriture » Paris, Editions Retz 1994, en rendent compte.
[4]  Ces ouvrages peuvent être commandés auprès de Pierre Colin, GFEN Secteur Poésie Ecriture, 1 Chemin Clair, 65000 TARBES
[5]  Manifeste du Centre International Permanent d’Ecriture du GFEN (C.I.P.E.), 71, rue Belliard, 75018 PARIS. Coordinatrice: Dominique Grandière. (1994)
[6]  Parmi eux les fondateurs de la revue Pratiques avec lesquels des échanges et des travaux se multiplient.
[7]  Initiateurs avec Claire Yèche et Annie Guiseppi de la Commission de Français au GFEN Provence.
[8]  Michel DUcom. Extrait de « ça conte » p.44. Edition « Cahiers de poèmes ». GFEN Secteur Poésie Ecriture.
[9]  Nous avons souvent eu recours à cette technique inventée par Claudette Oriol-Boyer et Jean Ricardou qui consiste, rappelons-le, à faire produire à partir d’un mot choisi deux listes d’associations (une liste idéelle qui jour sur le signifié du mot; une liste matérielle qui joue sur le signifiant), puis à tisser un texte à partir de ces listes de mots.
[10]  Avec ce concept emprunté à Gérard Genette, il s’agit de pratiquer l’écriture comme réécriture et de produire des récits modernes (hypertextes) en les adossant à des textes existants, déjà produits et connus (hypotextes). Lire par ex. Annie Bellatorre dans « Le récit: mode d’emploi » GFEN Provence 1986.
[11]  Titre de deux plaquettes parues en 1989–90 dans la région Provence..
[12]  « Calanque »: crique entourée de rochers en Méditerranée (Le Robert). La calanque de Morgiou est située entre Marseille et Cassis, non loin du quartier marseillais de Mazargues.
[13] Voici les incipit:
GROUPE 1 « LE PHARMACIEN DE MAZARGUES ET LA MER » : Lieu: la calanque de Morgiou. Incipit: « Dans l’officine, personne ne s’étonne plus. Madame Verbeke était la 7ème personne qui, depuis le début de la semaine, venait demander conseils et remèdes contre les démangeaisons… ». Chiffre: 7
GROUPE 2 « PAUL LE SUISSE ET LA MER » : Lieu: la calanque de Morgiou. Incipit: « Le lendemain, la plage était jonchée d’ordures. Une autre étape était franchie. Paul le Suisse décide d’attendre la suite… » Chiffre: 5
GROUPE 3 « LES PECHEURS ET LA MER » : Lieu: La calanque de Morgiou. Incipit: « – Bonté divine, Salvatore, qu’ont-ils donc ces poissons aujourd’hui? » – Que veux-tu dire? demanda l’autre pêcheur… » Chiffre: 3
GROUPE 4 « LE COMITE D’INTERET DE QUARTIER ET LA MER » : Lieu: La calanque de Morgiou. Incipit: « A la tombée du jour, et même au début de la nuit, les membres du C.I.Q., en petits groupes, passèrent et repassèrent devant la plage interdite à la baignade. Et nul à Morgiou et dans les environs ne se méprit sur la signification de cet acte… » Chiffre:4
GROUPE 5   « LES CABANONNIERS ET LA MER » : Lieu: La calanque de Morgiou. Incipit: « Damiano Kosma, le plus ancien des cabanonniers se souvenait de la calanque. Dix ans déjà! Elle avait bien changé!… » Chiffre: 6
GROUPE 6   « LES RETRAITES ET LA MER » : Lieu: La calanque de Morgiou. Incipit: « En quittant la calanque, après un bref échange d’impertinences, les retraités s’arrêtèrent au bar, et pour tromper leur ennui interrogèrent la serveuse… » Chiffre: 2
GROUPE 7 « LE RESTAURATEUR ET LA MER » : Lieu: La calanque de Morgiou. Incipit: « A son tour, le restaurateur parcourut le jardin, succédant à sa femme Virginie… » Chiffre: 7
Les incipit ont été tirés au hasard dans différents livres puis adaptés aux personnages mentionnés dans le schéma « mise en système de la calanque de Morgiou » qui sera distribué en phase 5. Ils ont été reformulés pour suggérer fortement le début d’une histoire: soit parce que l’événement est déjà commencé (dans « le pharmacien de Mazargues »), soit qu’un mot appelle une suite (« Paul le Suisse »).
[14]  Nous faisons référence à « l’analyse pluridisciplinaire des situations de travail » et à l’enseignement du DESS du même nom (Université d’Aix-en-Provence: DESS « APST », Université d’Aix-Marseille 1, UFR de philosophie), sous la direction d’Yves Schwartz.
[15] Voir à ce sujet notre contribution: « Écrire pour mettre en patrimoine », parue dans « Éducation Permanente » N°120/1994-3 (supplément Education Nationale)
[16]  Lire G.Lakoff et Mark Johnson « Les métaphores dans la vie quotidienne » Editions de Minuit, Coll. Propositions, Paris 1985.
[17]  Nous renvoyons ici aux plaquettes « De la formation aux pratiques de terrain: un dispositif d’évaluation d’une formation aux ateliers d’écriture » (GFEN Provence 1993) et « Le travail? Parlons-en! » (GFEN Provence 1994), ainsi qu’aux travaux du réseau « Travail et langage » (D.Faïta, Josiane Boutet).
[18]  Autant d’ateliers, autant de cas de particuliers. La lecture d’un mémoire de maîtrise sur les figures du détour chez Edouard Glissant nous incite à imaginer un atelier d’écriture poétique sur « Le chaos-monde ». Telle ou telle commande qui nous est faite par une municipalité nous conduit à développer des formations « écriture/lecture » pour des personnels municipaux. Une amicale pression: animer un atelier en hommage à Queneau dans la bibliothèque de Verviers (Belgique) qui recèle un important fonds Queneau donne lieu à l’invention de l’atelier « Ilécricomiparl ». A l’occasion d’un stage, nous décidons de faire partager un amour de longue date pour un peintre (Paul Klee, Miro), ou pour un écrivain (Peter Handke). Autant d’occasions saisies pour monter des ateliers nouveaux ou reprendre des problématiques plus anciennes et les repenser pour des publics différents. Chaque fois qu’apparaît le besoin de mieux comprendre une chose, notre solution est de bâtir un atelier. Ceci suppose une attitude active, réactive, créative.
[19] Pays où a été animé cet atelier.
[20] Lire Gilbert de Terrsac « Autonomie dans le travail », Collection « Sociologie d’aujourd’hui », Editions PUF, Paris 1992
[21] Philippe Davezies « Eléments de psychodynamique du travail », in EDUCATION PERMANENTE N°116, Paris 1993
[22] Extrait de « Le travail, sans l’homme? – Pour une psychologie des milieux de travail et de vie » Yves CLOT, Editions La Découverte /Textes à l’appui, Paris 1995, p.28.
[23] « Ateliers 87 — Ecrire autour du JE » GFEN Provence 1987, p.2
[24] Les collections du Nouvel Observateur « Une journée du monde » Hors série 22-23-24, novembre 94. Dans le même registre, on lira d’Olivier Rolin « L’invention du monde » Editions du Seuil, collection Fiction & Cie, Paris 1993.
[25] Jacques RANCIERE, « Les noms de l’histoire. Essai de poétique du savoir ». (La librairie du XXè siècle, Seuil) Paris 1992
[26] Extrait du texte de présentation de la revue. Celle-ci est disponible au 1, allée de la Ste Baume, 13470 Carnoux et se diffuse par abonnement (160 F/ 4 numéros)
[27] Werner Kirst et Ulrich Diekmeyer « Entraînement à la créativité » Casterman, Paris 1975
[28] Jean-Yves Rochex « Le sens de l’expérience scolaire » Editions PUF, Collection « L’éducateur », Paris 1995
[29] On pourrait aller plus loin dans l’évaluation de l’activité et donc dans la compréhension des ateliers d’écriture si, suivant en cela Jean-Yves Rochex, « […] à partir de l’analyse de ces rapports et discordances entre les trois dimensions de l’activité » on reprenait les trois niveaux différents de régulation de celle-ci, à savoir: l’efficacité de l’activité ou rapport des résultats obtenus avec les buts visés par le sujet, l’efficience de l’activité ou l’économie des moyens mis en œuvre pour parvenir au but fixé, le sens de l’activité du sujet ou rapport entre ce pourquoi on agit et ce que l’on fait réellement. (op. cit. p.45-46)
[30] Parlant d’évaluer la qualité d’une formation, Yves Clot propose la notion d’efficacité dynamique, qu’il décrit comme « cette face cachée du processus qui déborde ce que les techniques pédagogiques peuvent formaliser a priori' ». (op.cit. p.46) Plus loin, il la définit comme: « la relation qui s’établit entre le sens et l’efficience de l’action » (op.cit., p.55)

 

Laissez un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée.

Commentaire sur “Vingt ans d’ateliers d’écriture entre partis pris et professionnalité”