Les enjeux des ateliers d’écriture pour le public ont maintes fois été écrits. Les ateliers permettraient de prendre pouvoir sur l’écrit, seraient des leviers d’émancipation, participeraient à l’hominisation… Que d’articles écrits dans les archives du mouvement ! Que de partis-pris auxquels il est difficile d’apporter des preuves irréfutables. Et pourtant, les ateliers continuent de mettre en mouvement les participants qu’ils soient animateurs, animés, animants… Des débats mettent en jeux les conceptions des uns et des autres, questionnent le processus d’écriture, voire le processus de création.
Le GFEN porte en lui ses propres contradictions. Les ateliers d’écriture, issus de 50 ans de recherche dans le mouvement ne sont que peu connus des dirigeants et adhérents du mouvement. Tout au moins les apports portés par ceux-ci sur le processus de création, le rapport à l’imaginaire, l’interrogation des mythes…
Expliquer empêche de comprendre quand cela dispense de chercher, disait un certain Henri Bassis. Alors comment permettre au mouvement de s’emparer de ses recherches, quand celles-ci ne sont pas reconnus comme telles. Il faut aller à l’extérieur du mouvement pour que les apports du secteur écriture du GFEN sur la question des ateliers d’écriture soit reconnus !
L’atelier ne peut être animé dans un lieu, uniquement pour prouver son utilité. Car celui-ci ne peut être utile, il est avant tout aventure humaine. Alors, pourquoi animer un atelier aux rencontres du GFEN ? Qu’est ce qui motive son invention ? Où se joue l’intérêt, le déplacement, le risque, l’envie ?
Cette fois-ci c’est le début de l’invention de l’atelier qui prendra forme dans cet article. Ce retour sur soi qui oublie les enjeux politiques, les implications dans la société. Qu’est-ce qui fait sens pour l’individu quand les contradictions harassantes et ressassantes du GFEN font perdre tout sens de l’engagement à ceux qui s’y engagent ?
Que dire de la pulsion d’invention. Pourquoi cet atelier ? Pourquoi se lever, faire une heure de route, perdre de l’argent ? Comment trouver l’énergie qui fera que cet atelier, encore un, aura toute sa nécessité ? De quel désir intime, enfoui, a bien pu partir cet atelier ?
Si j’anime un atelier, je cherche à ce que celui-ci soit réellement formateur, au sens où il déplace des représentations, induit un questionnement nouveau. Pour que l’atelier soit lieu de recherche, l’animateur a sa part de doute. Il porte ses problématiques, de là où il est, à partir de ses représentations de l’écrit, qui sont en perpétuel mouvement.
Si j’anime, je ne peux pas savoir. Sinon, je tombe dans le show, la redite, les ficelles, les habitudes, les certitudes, le dispositif désincarné de doutes, d’envie, de peurs, de questions vraies ?
Donc pourquoi se lever le matin, et décider de faire acte de militantisme ?
J’ai tourné cette question longtemps, longtemps, avant de me décider à mettre mon nom dans la liste des animateurs. Si j’y vais, il faut que j’y joue quelque chose d’important pour moi. Je n’ai pas envie de prouver quoi que ce soit. L’atelier ne sert à rien s’il ne sert que l’égo. Il me faut un problème, un problème d’écriture ou de création, un problème avec les mots.
Introspection. Se joue alors la liste des pourquois. Chaque réponse rebondissant sur un autre pourquoi jusqu’à épuisement du stock.
- Pourquoi c’était si important pour moi d’animer des ateliers, au début ?
- Parce que je ne savais pas animer un atelier, je n’avais pas fait d’études littéraires, je n’écrivais pas et avais envie de le faire. Cette envie s’est déplacée.
- Pourquoi ? Je n’ai plus envie d’écrire, de défricher l’écrit grâce au collectif, de déplacer mes représentations…
- Si, mais si l’enjeu est d’animer, de faire écrire, il faut que pour moi, il y ait une page suffisamment blanche pour que l’enjeu me rejoigne, et que la recherche se fasse réellement.
- Pourquoi je ne mettrais pas mes recherches actuelles sur le tapis ?
- Parce qu’en ce moment ce qui m’intéresse ne correspond pas à ce qu’ils attendent dans ce type de Rencontres. J’ai envie d’aller là où ça fait peur. Ce qui me fait peur c’est d’improviser dans la rue.
- Pourquoi je n’organise pas un atelier dans la rue, où je ferais une battle d’impro à un moment ?
- Parce que je suis animatrice, si j’improvise en plein milieu des consignes, je vais me perdre, perdre ma posture, leur faire peur. Ils ne voudront plus écrire.
- Pourquoi ils auraient peur si la posture est assumée ?
La liste des pourquois s’est épuisée. La question se retourne alors. En quoi le fait de complexifier la posture d’animatrice, d’y greffer une posture d’improvisatrice, interroge l’atelier ? Y a-t-il une seule posture d’animatrice pour animer ? Prendre le risque dans la rue n’est-il pas un bon moyen de déplacer les attentes, entendre le risque dans les mots, perturber l’écrit.. Improviser ne signifie pas faire son show mais bien engager le public dans une aventure partagée, dans laquelle leurs propres mots, réactions, vont avoir des échos, dans la rue… et dans leurs textes. Improviser signifieraient alors mettre en danger un processus de création en direct, écrire à l’oral ce texte qui se cherche en s’écrivant.
Le défi est là. Il y a là une problématique suffisante. Aller dans la rue (ça on sait faire), organiser les consignes pour que les gens prennent tout ce qui se passe autour d’eux. Et dans ce qu’il se passera, il y aura une improvisation poétique orale, en interaction avec les gens qui passent. Je sais pourquoi je me lève. Ca y est j’ai peur. C’est bon signe… Je vais pouvoir m’animer. Partir, mais pas seule. Lancer le défis à une co-animatrice, débrifer, déconstruire et partir là où l’envie prend le dessus sur la situation embourbée, qu’elle soit politique, sociale et/ou personnelle. L’atelier va pouvoir nous agir et nous donner l’envie de continuer à agir… ECRIRE !!!!
La flamme a eu lieu, au vu des retours et de la qualité du débat de fin d’atelier. Les gens se sont emparés de tout, et du vide que j’avais sous les pieds. Les écrits ont résonné, réellement résonné dans les rues. Les débats se sont déplacés. Chacun s’est agrandi son bout de trottoir. Les mots ont gagné une petite part de liberté, ont fait naître d’autres ateliers1. Ils continuent de participer à l’aventure.
Comme quoi, animer, c’est aussi se chercher !
« II me faut mettre l’écriture au centre de ce qui se passe dans l’Atelier afin que chaque participant puisse être en recherche, animateur compris. C’est de cette égalité de statut de chercheur que doit naître une commune volonté de libérer sa pensée dans l’écriture, en dehors de l’Atelier lui-même. Un Atelier n’atteint vraiment son but que si les gens reprennent pour eux-mêmes la bataille et le plaisir de l’écriture. Les obstacles à lever sont cependant innombrables. II faut décider de côtoyer l’imaginaire, de heurter de front la terrible sentence « Je ne maîtrise pas, donc je ne fais pas » et la transformer en « Je ne maîtrise pas, donc je fais. J’ose. Avec les autres, certes. Mais JE fais. J’accepte d’être dans ce rapport de maîtrise non-inscrite qui préside à tout acte de création ou de construction de savoir2 ».
1http://ecrituregfen.org/?p=1829
2 Michel Ducom, L’atelier d’écriture, le pouvoir d’écrire, 1993, édition GFEN, http://ecrituregfen.org/wp-content/uploads/2015/05/1993_02_Le_pouvoir_d_ecrire.pdf
2 commentaires sur “Animer un atelier d’écriture aux Rencontres sur l’aide du GFEN1, pour quoi faire ?”
Je trouve incompréhensible que ce texte ait été refusé! Ce serait important d’en connaître les raisons! Certaines peuvent être « entendues » : » Texte arrivé trop tard » ou » texte arrivé alors que la revue était déjà remplie de textes déjà acceptés » … dans ce cas la moindre des choses est de le dire!
Si ce texte a été refusé pour une autre raison ce serait bien de le savoir également, et, en outre, la moindre des politesses de le signaler à son auteur !
Qu’est-ce que c’est que ce genre de pratiques? …au GFEN !!
Je viens moi aussi de me faire censurer un texte… car c’est bien de censure dont il s’agit! Mais au moins on m’a dit très clairement et correctement pourquoi et les choses sont donc claires! … Même si sur le fond c’est incroyable! On m’aurait dit : « on est pas d’accord et on le signale lors de la publication » : OK , mais là c’est carrément « on est pas d’accord on ne publie pas! » En plus ce n’est pas une question d’accord ou de désaccord, puisque’il s’agit d’un contenu objectivable. C’est « juste » une question de discours insupportable! Ça s’appelle de la censure, et j’en suis fortement ébranlée!
C’est de la censure parce qu’au GFEN on ne peut pas dire ce que j’ai eu l’outrecuidance de dire sur Piaget, pourtant rien d’autre que ce qui est déjà connu et reconnu universitairement parlant depuis maintenant quelques décennies! Mais on préfère rester avec ses illusions apprises en école normale où bien souvent on ne parlait que de Piaget et d’où Wallon, s’opposant à Piaget, était banni, censuré. (Sauf quand dans une école normale un prof de « philo-psychopeda » était communiste et/ou osait quand m^me parler de Wallon, ce qui était fort rare!) J’ai eu cette chance de’assister au cours d’une collègue de philo qui osait parler de Wallon et de son opposition à Piaget, c’est cette m^me personne qui m’a fait connaitre et adhérer au GFEN en 1985 (ou 1984 ou 1986, à un an près) … je n’en crois pas mes sens! d’être censurée pour cette raison! En réalité dans mon texte je n’ai fait que reprendre les propos de Wallon contre Piaget, je n’ai bien sûr rien inventé! Pas même la violence des propos de Wallon, notre ancien président…
Au moins je comprends la réaction contre mon texte si je ne l’admets pas intellectuellement (les propos de Wallon contre Piaget en eux-mêmes sont assez violents et forts dérangeants) …Mais pour ce qui est du texte de Stéphanie je ne comprends absolument pas pourquoi il a été refusé!!
Alors comme ça au GFEN actuellement on censure à tour de bras? avec ou sans explication…
Vraiment Stéphanie, demande une explication! …Ils te doivent bien ça! et ton texte le vaut bien!
En ce qui me concerne j’ai modifié mon texte selon leur demande (demande qui est un rajoût par rapport au « contrat » initial qui n’était que de présenter la controverse Piaget / Wallon sur le rôle de l’action dans l’élaboration de la pensée) J’ai modifié mon texte pour qu’il soit plus « soft », plus acceptable dans sa forme, car il était un peu hard (rien que la réalité cependant) et que je veux faire preuve de « bonne volonté », mais je me refuse à toute modification sur le fond et n’en ai fait aucune.
Mais par la suite, que ce nouveau texte soit accepté ou pas je ne publierai plus rien dans cette revue qui pratique la censure d’une façon qui ne me convient pas, même si moi j’ai au moins eu droit à une explication.
Catherine Ledrapier
II faut décider de côtoyer l’imaginaire, de heurter de front la terrible sentence « Je ne maîtrise pas, donc je ne fais pas » et la transformer en « Je ne maîtrise pas, donc je fais. J’ose. Avec les autres, certes. Mais JE fais. J’accepte d’être dans ce rapport de maîtrise non-inscrite qui préside à tout acte de création ou de construction de savoir ».
Je te remercie de mettre en discute ce texte, Stéphanie. Il donne tout son sens à ce verbe oser qui parsème nos tracts, et perd à mon sens beaucoup de son pouvoir quand celui qui invite les autres à le faire ne se met pas lui-même dans la même situation. C’est très émouvant de recevoir ce témoignage d’une vraie démarche de recherche (de création) qui réussit parce qu’elle prend appui sur une élucidation du parti pris. Et ce parti pris est tout sauf du n’importe quoi. Ce que tu oses là, c’est un pas en-dehors de tes propres clous, un pas qui te contraint à inventer, à être toi-même dans la situation où tu invites les autres à se placer. Tu les invites à hauteur du haut niveau de ta propre expérience, et de ta propre exigence, et en même temps, s’ils réussissent, c’est parce que la situation que tu construis sur la base de cette exigence est nourrie de tous les outils de ton expérience. Tu donnes accès aux conditions construites d’un défi que chacun va relever en sortant de ses clous à lui, et pas des tiens. Je trouve que c’est la richesse des analyses réflexives qui suivent une telle expérience, que d’ouvrir à des apports variés et surprenants venant de personnes qui ont globalement à souffrir de conditionnements qui sont les mêmes, car les interdits que nous transgressons dans une telle démarche sont les produits des dominations que nous subissons tous, et qui se révèlent à eux-mêmes des chemins personnels à s’ouvrir. Je pense qu’il n’y a pas « démarche » la où il n’y a pas ça. Des apprentissages certes, des découvertes, pourquoi pas, mais de l’émancipation ? (Clin d’oeil à l’article de Jean-Louis).