Cet article a pour but de considérer quelques données historiques comme éléments de problématisation pour discuter, en vue du centenaire du LIEN, de ce que l’on entend par Education nouvelle. Notamment pour faire le point en regard de ce qui s’est historiquement passé: les écoles et/ou mouvements qui ont été considéré.e.s comme étant Éducation nouvelle ou pas. En particulier il s’agit de considérer comment les écoles libérales et les écoles libertaires ont été reconnues ou pas par l’Éducation nouvelle, afin de discuter des dimensions sociales et politiques de l’Éducation nouvelle passée et à venir. …à discuter!
3 commentaires sur “Quels critères pour l’Éducation nouvelle?”
Je te remercie, Catherine, d’avoir assorti tes deux très longs articles très documentés de questions suffisamment polémiques pour ouvrir à débat. J’avoue que j’ai, personnellement, du mal à réagir à des textes qui tentent de faire le tour d’une question très large. La question reste large, bien sûr, surtout si je mets en relation les deux articles et les deux questions que tu y poses, ce qui me paraît nécessaire parce qu’elles sont un peu la même, pour moi. Celle que j’ai lue la première : Dewey doit-il devenir notre référence philosophique, peut-être notre seule référence philosophique ? Et celle-ci : quels critères pour définir l’Éducation Nouvelle ? Libérale ou Libertaire ? posé dans ces termes, à mon avis, en ce qui nous concerne au GFEN depuis au moins les années 80 et sans doute déjà bien avant, le problème pourrait paraître réglé d’avance : pas libérale, en tout cas. Notre héritage politico-philosophique, entre Proudhon, Marx, Bakounine, Wallon, Vygotski, Makarenko et Freire et quelques autres, nous a défini un cadre de valeurs qui excluent la lutte de tous contre tous, la compétition, la réduction aux chiffres, bref, tout ce qui accompagne le développement du libéralisme. On peut discuter, cependant, l’alternative que tu proposes. Et je la discuterais même si j’étais tentée de me satisfaire de l’idée que l’Éducation Nouvelle doive se concevoir comme libertaire. Ceci nous amènera à Dewey. Ce que Dewey, avec Peirce et avec le pragmatisme, apporte à la philosophie de l’Éducation, c’est qu’il l’appuie sur une révolution logique, qui est la logique des relations. Le pragmatisme est fondé et construit sur une découverte qui nous oblige à rompre avec l’immobilisme et le fatalisme inhérents à la pensée dualiste. Les idées, les concepts, les lois, sont par nature des relations triadiques. Ce qui les rend créatrices, et potentiellement agissantes dans le monde des faits, c’est la relation qu’elles établissent entre ce monde des faits singuliers de l’expérience et le possible, vague, des interprétations. Ce n’est que par commodité et conformisme que nous les utilisons comme des cadres stables et définis, les nôtres, opposables à des contraires qui ne seraient pas nous. Dans une opposition dyadique, chercher le troisième terme. Trichotomiser la dichotomie. Ce qui fait de l’Éducation Nouvelle un joyau pour l’avenir, c’est qu’elle ne se réduit ni à du libéral ni à du libertaire. Le tableau que tu nous dresses de la diversité de nos précurseurs contribue à nous rouvrir cet univers des possibles dans lesquels nous trouvons à nous ressourcer, en nous confrontant à des pensées toutes porteuses de petites ou de grandes ruptures par rapport à une tradition tellement immuable qu’on peut continuer de reconnaître le fonctionnement habituel actuel de la plupart des classes, et qui sert, que nous le voulions ou non, de cadre de référence à nos recherches si nous n’entretenons pas en nous-mêmes le désir et le défi permanents de sa transgression. Dès que nous cherchons à faire système d’une pratique, aussi transgressive et créatrice soit-elle à son invention, nous reproduisons le rapport de domination fondamental qui oppose les sachants aux ignorants et retombons inévitablement dans le dualisme qui le perpétue. Dewey, comme pédagogue, est un parmi les autres expérimentateurs de pratiques pour l’Éducation Nouvelle. Il ne l’est même pas lui-même, c’est son épouse, Evelyn Dewey, qui faisait la classe dans son laboratoire, et c’est elle, dit-il dans sa préface, qui est allée visiter des classes du Mouvement des écoles progressives et décrit ce qui s’y passe dans le livre “Schools of tomorrow”. Il apporte au moulin du possible. Et si nous voulons définir à notre tour une Education Nouvelle pour notre monde, nous en avons beaucoup d’autres à ajouter à ce moulin. Paulo Freire, même si lui-même s’est un peu construit contre une Education Nouvelle trop libérale à son goût, mais dont les héritiers se retrouvent dans certaines de nos pratiques d’aujourd’hui, qui intègrent son influence et partagent avec lui le parti pris du pragmatisme. Et d’autres éducateurs du monde, que nous découvrons au fil de nos rencontres internationales, comme Ki-Zerbo le Burkinabé, comme Sakakini le Palestinien, comme tant d’autres qui, tous, nous inspirent et nous questionnent pour peu que nous en fassions la rencontre. Il y a de la place pour tout le monde, et pour nous aussi, qui, avec nos décennies de pratiques et de cheminements créatifs, pouvons et devons prétendre à faire référence aussi. Sinon, pourquoi écrire ?
Comme philosophe de l’éducation, Dewey me paraît incontournable en ce qu’il a tenté d’appliquer à la pédagogie une rupture philosophique qui est la nôtre quand nous affirmons la recherche d’une cohérence théorie-pratique, une visée des savoirs-pour plutôt que des savoirs-sur, la création dans le savoir plutôt que l’assignation de chacun de ces mots à deux domaines séparés. Dewey et Peirce parce que Peirce s’est cantonné sur le versant de la description et de la classification heuristique des phénomènes tandis que Dewey s’aventurait sur le versant de l’application possible de leurs découvertes, prenant le risque de frôler la prescription, utile certes, mais davantage susceptible d’interprétations réductrices. Freire a fait une interprétation créatrice de Dewey qu’il connaissait, et de Peirce qu’il avait lu et consciencieusement annoté. Freire est un grand philosophe et théoricien de l’éducation pour le Mouvement social et la politisation des classes populaires et des exclus.
Étrange démarche d’écriture, laisser un commentaire derrière un article à discuter. pour me relire en entier plutôt que dans une étroite fenêtre, je dois envoyer, et donc figer, le texte que j’écris. Donc, c’est dans cette réponse à mon commentaire que vont s’écrire mes remords. Je voulais dire deux choses. Que l’élaboration théorique se fait elle aussi à la croisée de multiples pensées, dans l’univers du vague, et qu’aucun de nos reférents théoriques ne peut prétendre être le seul, sous peine de nous assécher et de nous perdre. La pensée du complexe, Stengers, Prigogine, Deleuze, Spinoza, la physique quantique, yves Clot, Picasso, c’est dans tous les domaines de la science et des arts qu’on trouve des pistes philosophiques pour étayer nos grandes ruptures conceptuelles. L’Éducation Nouvelle s’inscrit dans son temps, dans les émergences d’aujourd’hui qui continuent hier en le dépassant. C’est aussi dans tous les lieux d’éducation et de construction de savoirs que nous trouvons nos références et nos inspirations, pas seulement chez les fondateurs d’écoles, ni seulement chez les enseignants. L’institution scolaire est un projet politique. Elle ne change pas parce que quelques-uns ont créé leur petit paradis, ou leur laboratoire. Elle ne peut changer que sous la pression d’une idée voyageuse et d’une exigence sociale qui transgresse les frontières des catégories établies, des pays, des langues, comme des domaines de l’action et de la pensée.
Merci Joëlle pour tes deux ”réponses”.
Deux choses en réaction à tes textes :
– la première est que je suis d’accord avec tes propos, et pour la plupart d’entre eux je les partga de manière militante et revendicative. par exemple quand tu dis : ”Notre héritage politico-philosophique, entre Proudhon, Marx, Bakounine, Wallon, Vygotski, Makarenko et Freire et quelques autres, nous a défini un cadre de valeurs qui excluent la lutte de tous contre tous, la compétition, la réduction aux chiffres, bref, tout ce qui accompagne le développement du libéralisme” ou ”Comme philosophe de l’éducation, Dewey me paraît incontournable en ce qu’il a tenté d’appliquer à la pédagogie une rupture philosophique qui est la nôtre quand nous affirmons la recherche d’une cohérence théorie-pratique, une visée des savoirs-pour plutôt que des savoirs-sur, la création dans le savoir plutôt que l’assignation de chacun de ces mots à deux domaines séparés”, ou encore ”une tradition tellement immuable qu’on peut continuer de reconnaître le fonctionnement habituel actuel de la plupart des classes, et qui sert, que nous le voulions ou non, de cadre de référence à nos recherches si nous n’entretenons pas en nous-mêmes le désir et le défi permanents de sa transgression. Dès que nous cherchons à faire système d’une pratique, aussi transgressive et créatrice soit-elle à son invention, nous reproduisons le rapport de domination fondamental qui oppose les sachants aux ignorants” … ce dont je suis bien persuadée depuis pas mal de temps. Non pas que je sois moins d’accord avec d’autres propos, c’est plut^t que je ne connais pas assez. Ainsi je ne connais que superficiellement Paolo Freire, mais j’espère bientôt combler cette lacune.
– Ceci dit, il y a un gros malentendu ! Je ne propose pas que Dewey devienne notre seule référence philosophique ! Pas plus que de choisir entre une Éducation Nouvelle Libérale ou Libertaire ! Les titres se voulaient polémiques et accrocheurs voire du genre ”avocat du diable’, puisque au contraire ils évoquent ce que je remets en question C’était donc une manière de provoquer pour rentrer dans le débat, débat que j’aurais souhaité engager en Tunisie (comme annoncé plusieurs fois dès fin janvier). Donc malentendu , interprétation au premier degré et non au second,.Mais les problématiques envoyées par mail pour ”expliciter” ma demande de débat sur le sujet dans l’objectif du centenaire ne laissaient pas d’ambiguïté par contre.
Je RE-précise donc bien le problème : Traditionnellement et régulièrement quand l’éducation nouvelle est présentée pour ce qui est des références philosophique c’est Rousseau qui est le SEUL présenté. Au GFEN mais aussi dans les autres mouvements. Si la référence à Rousseau s’explique historiquement , il y a par contre pas mal de points qui ne semblent pas trop en accord avec les principes que nous mettons en avant ! en particulier je déplore que nous ne parlions jamais ou si peu de Dewey… Mais je ne propose pas que Dewey soit pris comme seule référence à la place de Rousseau ! Loin de moi cette idée!! L’idee même d’une seule référence est monstrueuse !!! c’est d’,ailleurs bien â qui me gêne chroniquement au GFEN, à quasiment chaque présentation… (et ailleurs aussi, mais c’est au GFEN que je suis! )
Je propose que l’on ouvre , à pas mal autres philosophes en ce qui concerne les références philosophique et surtout que l’on y intègre Dewey qui a fait partie de L’éducation nouvelle et a théorisé et philosophé dessus. Pas plus. D’où mon texte de rappels de ses positions)
idem pour l’autre question! je pense que noua sommes très nombreux à avoir disons ”des ides de gauche, voire d’extrême gauche en éducation nouvelle, en tout cas au GFEN, et qu’il y a assez peu de libéraux et de gens de droite. Pourtant, toutes les références biblio quelle que soient leur nature présentent systématiquement les ‘fameuses deux écoles anglaises” et l’ecole des Roches comme les Pionnières !.. alors qu’au moins trois écoles libertaires existaient avant. seulement voilà c’était des écoles libertaires, donc elles sont exclues par l’histoire de fait de l’histoire d’éducation nouvelle. Même les ”célébrités de notre bord” les classent à part…. au moins eux ils en parlent mais les classent à part quand même ( voir Philippe Meirieu entre autres)
Ce n’est pas forcement un point très important, je vous l’accorde, mais franchement les origines c’est les origines et moi je ne suis pas très fière que l’on me renvoie des écoles ultra libérales comme origine et modèle, surtout quand en plus c’est faux !
Je me disais que rectifier ce positionnement historique faux et surtout de reconnaître officiellement que les écoles libertaires font partie de l’éducation nouvelle ( surtout quand on n’est pas choqués que les libérales s’en revendiquent) serait peut être intéressant à envisager à l’occasion du centenaire. Mes textes sur la discute ( ils ne sont toujours pas sur le site du LIEN) sont essentiellemt de apports d’éléments historiques pour amener de l’eau à la discussion…. , certes en fonction de cette problématique.
J’espère que l’on aura l’occasion den discuter !
Catherine
Tous mes messages ont ete dans ce sens… je suis donc surptise que mes titres certes à prendre au second degrè puisqque dennon cant plus ou mmoins ce qui se passe actuellemt aient ete mal interpretes ( en tout cas deconnecte de leur presentarion)
bon ca a donne lieu à discute cest l,essentiel !
catherine